• Ignorons les raisons.

    2009- Je me souviens de mon père qui hurle « ESPECE DE CONNASSE ! ». J’ai pris ça pour moi, et ça ne l’était pas. Ce qui m’a fait dix fois plus mal, bizarrement.

    Je me disais qu’en 2009, ça aurait changée, que je ne serais plus une fille aussi timide, que je ne serais plus aussi réticente à rencontrer de nouvelles personnes, que je ne serais plus une fille qu’on aime mal, que je ne serais plus la même fille qu’en 2002 dans les yeux de mes parents. Entre autres.

    Mais je sais aujourd’hui ce qui rendrait ma mère heureuse. C’est que je fasse femme de ménage, et si possible, la sienne, bénévolement.

    2007- J’ai ensuite cru que réussir mes études seraient quelque chose qui modifierait leur regard. C’est dans mon regard que je me suis mis l’œil. Ca les a changé, mais dans un sens inattendu. Je suis aujourd’hui la fille qui ne fout rien de ses journées, qui n’a jamais cours, qui ne travaille pas, qui n’a pas son permis. Malgré les 25h de cours par semaine et le travail monstre à côté, je reste la « feignasse sale et dégueulasse » qui devrait avoir honte.

    2006- J’ai d’abord pensé que 2006 et l’obtention du bac changerait quelque chose, j’ai cru que ma mère était heureusement pour moi, était fière de moi. Au final, je crois qu’elle était juste contente d’avoir sauvé les meubles, de pouvoir se vanter de quelque chose, de pouvoir dire « ma fille, ELLE ». Mais aujourd’hui, le plus fabuleux de la maisonnée reste encore et toujours le même, sans bac ni études, mais avec un métier de nuit par intérimaire.

    Je me souviens de sa mort et de ma mère qui me disait, comme un écho, « ton frère est vraiment triste ». Et moi, j’étais simplement dévastée. Mais c’était à mille lieux d’être important. Il était triste, qu’est ce qui aurait pu être plus important que ça ?

    2003- Je me souviens, en seconde, avoir pleuré en hurlant au téléphone dans les rues prés du lycée, avoir était à la  boulangerie avec les yeux rouges et défoncés pour m’acheter malgré tout un sandwich, le noir aux joues. Je me souviens lui avoir dit « j’ai eu peur que tu te sois encore suicidée ». A cause de moi pour de bon. A cause de moi qui lui gueulais dessus au téléphone d’avoir fait de moi le bouc émissaire de toute une classe.

    2002- Je me souviens de ma mère que j’entendais tomber dans la salle à manger. Je me souviens n’avoir rien fait pensant que c’était mon cousin qui jouait. Je ne sais pas pourquoi j’ai cru ça, mon cousin n’était pas là, mais toujours est-il j’ai cru ça. le côté rassurant, sûrement. Je suis descendu quelques minutes (?) plus tard, j’ai vu ma mère par terre, j’ai cru qu’elle faisait ça pour me faire peur. Encore une fois, je ne sais pas pourquoi j’ai cru ça. Sans doute parce qu’on venait de s’engueuler une fois encore, que je m’étais juré de ne plus lui parler jamais, une fois encore.

    Je lui parlais alors qu’elle était allongée par terre, je lui disais « c’est bon arrête je sais que tu fais semblant ! », je lui ai mis des claques sur les joues, je lui ai soulevé les paupières comme ils font dans les films, plus par amusement en pensant qu’elle faisait réellement exprès, et j’ai commencé à paniquer. J’ai téléphoné à mon père, je ne réalisais pas tellement, j’étais mi hystérique mi… amusée. Un peu à l’ouest, qu’est ce qui me tombait sur le coin de la gueule ?

    Puis elle s’est relevée comme une fleur. Je lui ai demandé ce qu’elle avait eu, lui ai demandé d’aller voir le docteur, d’aller à l’hopital. « J’ai juste fait un malaise, je vais aller m’allonger ». Et elle a continué à faire son ménage quotidien.

    J’étais remontée dans ma chambre, j’entendais des gens en bas tout à coup, vers 17h. Je suis descendue, j’ai vu ma mère sur le lit, j’ai demandé « qu’est ce qu’elle a ? », personne n’a rien voulu dire. Il y avait ma tante, ma cousine, mon oncle, ma grand-mère, une amie de ma mère, mon père. J’étais là, comme une pauvre conne, j’avais passé la journée dans cette foutue maison, et je n’avais pas été foutue de voir que ma mère s’était envoyé le tube de lexomil. Elle avait averti tout le monde, apparemment, à moitié délirante, surement apeurée d’avoir fait ça, aussi. Et moi, non, j’étais juste dans ma chambre, ma mère était en train de mourir sous mes pieds, et je n’en savais rien.

    Ma cousine et son réconfort foireux. Ma tante et ses blagues. Mon père et son ignorance totale pour ses enfants. Ma grand-mère et le chiffon.

    Je me souviens de mon oncle qui parlait à mon père dans la cuisine, alors que j’étais dans la chambre juste à côté sans qu’ils ne le sachent. Je l’entendais dire « c’est de leur faute, ils l’aident jamais, elle est à bout, c’est de la faute de vos gamins ! ». Mon père acquiesçait. J’ai cru que jamais on ne pourrait me blesser autant. Puis je suis allé voir ma mère à l’hôpital, même si c’était « de ma faute si elle avait tenté de se suicider ». Elle m’a demandé des nouvelles de mon frère, plus vieux que moi de 3ans presque 4, m’a demandé s’il allait bien. C’est tout ce qu’elle m’a dit.

    Un peu plus tard, quand elle est revenue à la maison, je lui ai dit ce que mon oncle avait dit. Elle m’a dit « je sais, ton frère me l’a dit, ça lui a fait du mal, il en a pleuré ». Je me disais « et moi, on s’en fout ? ». Apparemment, oui.

    Ca a continué. J’étais trop conne pour être aimée normalement.

    2001- Je me souviens que lors d’une réunion parents-profs, j’apprenais de la bouche de ma prof de maths que ma mère avait un cancer. J’ai alors compris pourquoi à chaque cours elle me demandait si j’allais bien. Ca devait en effet lui paraitre bizarre de me voir rire si souvent.

    1994 : 2001- Juste quelques personnes.

    1994- Je me souviens de ma petite chienne que j’avais emmenée à l’école pour la montrer à la maitresse, je me souviens de mon grand père qui disparaissait, je me souviens des nuits à pleurer et à chercher du réconfort près de ma mère. Qui était trop dépressive pour m’en donner.

    1987 : 1993- Je me souviens des cachettes dans la cours de récréation et des petits vélo, je ne me souviens pas des gala de danse, je ne reconnais pas la petite fille sur les vidéos, déguisée en danseuse étoile, en tigre, avec une jupe. Les preuves sont là, la robe bleue à pompons est dans le placard, mon déguisement de tigre aussi, ma « meilleure copine » de l’époque y est aussi... pas dans le placard, dans la vidéo. On me dit que j’y suis aussi, j’ai intégré le fait que je sois cette gamine. On m’a dit « ce gala là, tu boitais parce que tu t’étais ouvert durant les grandes vacances ». Sauf que sur la vidéo, je boitais de la mauvaise jambe (cicatrice oblige, je sais où je me suis ouverte), et surtout, les galas de danse se passaient avant les grandes vacances. Je veux bien être longue à guérir, mais 10 mois tout de même… J’ai donc demandé à ma mère pourquoi je boitais, elle m’a ressortir la même histoire, quand je lui ai dit que c’était impossible, elle n’a pas su quoi me dire. Je lui ai demandé ça en 2008, j’ai juste mis 13ans à réaliser que la vidéo n’était pas compatible avec le souvenir. C’est qu’une chose de plus, on oublie les blessures de guerre de sa fille mais pas celle de son fils.

    Je me souviens de mon grand-père chez sa mère, malade. Je me souviens de toutes les horreurs qu’on m’a raconté durant ces 15ans sur celui que j’aimais tellement, sur la seule personne qui me rappelle 1987-1993.


    L'absence de toi
    C'est mon coeur qui craque
    Mon corps qui éclate

    Le pas de ton absence sur l'asphalte nuit
    Toutes les fenêtes fermées.


    Je mets du temps.

     


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